Les débuts du yachting en France - Les clubs

Le 27/11/2024 0

Dans cet article, Patrick Vuillefroy nous raconte les débuts du yachting en France avec la création des premières sociétés nautiques à partir de 1838 et leur histoire mouvementée entre scissions et fusions.

Les Clubs (1)

Le développement du yachting en France conduit très naturellement au regroupement de ses passionnés au sein des sociétés nautiques qui s’ouvrent un peu partout, le long de nos côtes mais également sur des plans d’eau intérieurs. La Société des Régates du Havre créée en 1838 initie cette démarche sur la côte, le Cercle de la Voile de Paris à l’intérieur en 1857.

La Bretagne ne reste pas inactive et dans de nombreux ports les sociétés nautiques qui se constituent commencent à structurer ce nouveau sport, sport ou science pour certains, tant il y a à imaginer pour faire évoluer les yachts. Très vite s’organisent des confrontations amicales entre les bateaux de leurs membres. Saine émulation qui aura une grande influence sur le développement du yachting. En parallèle des règles permettant de classer plus pertinemment ces bateaux différents dans leur conception et leur taille commencent à se discuter mais ces règlements n’ont pas statut national et le fonctionnement des sociétés n’est régi qu’à l’échelon local. Les yachtsmen formulent le souhait de créer un organisme disposant d’un réel pouvoir susceptible de porter cette toute jeune marine de plaisance.

LES CLUBS

La première société française visant à encourager la course entre voiliers constituée à l’initiative d’un groupe d’amateurs prend le nom de Société des Régates du Havre. Elle est enregistrée en 1838. Le Cercle de la Voile de Paris fondé en 1858 s’installe sur deux sites : le plan d’eau d’Argenteuil pour les nombreuses régates qu’il organise, Paris pour d’intéressantes conférences qu’il propose tous les mardis sur le thème de la mer. Le Yacht Club de France, société d’encouragement, qui sera créé en 1867, répondra au souhait exprimé de constitution d’un organisme dominant coordonnant et encourageant l’action des sociétés nautiques.

Au 1er janvier 1881 on compte 53 sociétés de régates en France, parmi lesquelles, dans les premières créées :

Société des Régates du  Havre - 1838

Société des Régates de Royan - 1853

Société des Régates de Vannes - 1855

Cercle de la Voile de Paris – 1858

Société des Régates Nantaises - 1858 

Club Nautique de Dinard - 1860

Société des Régates Internationales de l’Ouest (Saint Nazaire) - 1861

Société Nautique de Cette (Sète) - 1863

Société des Régates du Pouliguen  - 1869

  Société Nautique de Lorient - 1872

Société des Régates de Rochefort-Fouras - 1853

Société Nautique de Paimpol - 1854

Yachting Club d’Arcachon - 1857

Société des Régates de Loire Inférieure - 1858

Société des Régates Rochelaises - 1860

Société des Régates de Paimboeuf - 1860

 Société des Régates de la Tremblade - 1863

Société des Régates Le Croisic - 1869

Société des Régates de Cancale - 1869

Société des Régates de Douarnenez - 1874

Ces dates sont extraites de l’Annuaire du Yacht  de 1900. Dans cette liste, certaines sociétés n’œuvrent qu’au moment des régates, d’autres, les cercles, sont dotées d’installations permanentes où les sociétaires peuvent se rencontrer.

Avant que n’intervienne le Yacht Club de France, les clubs définissent leur propre jauge en se limitant d’abord à pondérer longueur et maître-bau, plus tard en ajoutant une évaluation du volume de la coque.

Pour faciliter les classements des régates qu’ils organisent et les rendre plus attractives, certains clubs prennent l’initiative de créer des séries monotypes : le premier arrivé est le gagnant, les régates deviennent moins mystérieuses pour le profane. Ainsi sont définis le monotype Morbihan par la Société Nautique de Lorient en 1891, premier monotype français, le monotype de Chatou en 1899, celui d’Arcachon en 1912 et de nombreux autres. Le coût des bateaux s’en trouve allégé et le sport par voie de conséquence plus accessible.

monotype d’Arcachon

Le Cercle de la Voile de Paris

Installé à Argenteuil en 1858 le CVP est un des berceaux français de la régate. 20 à 30 voiliers se retrouvent régulièrement. Le club s’implique fortement dans l’évolution de la voile de plaisance. On le retrouve dans tous les domaines : architecture navale, construction, règles de course…où il joue un rôle important. Il crée en 1898 un challenge international, la Coupe des Un Tonneau - renommée depuis One Ton Cup - toujours disputé de nos jours.

Le CVP a initié la publication de la revue hebdomadaire Le Yacht, source inépuisable d’informations qui livre bon nombre de plans de voiliers pour les historiens de la plaisance mais aussi des marines de guerre, de pêche et de commerce.

Le Yacht Club de France et l’Union des Yachts Français (YCF et UYF)

 « Les propriétaires des bateaux de mer non seulement trouvaient peu d’encouragements mais encore étaient exposés à mille tracasseries des autorités douanières et maritimes. Ils pouvaient même se trouver un beau jour, de par la loi, portés sur les registres de l’inscription maritime et embarqués d’office sur un navire de guerre en partance » (Philippe Daryl).

Face à ce constat d’ignorance administrative de la navigation de plaisance des yachtsmen décident au début de 1867 de créer une société qu’ils choisissent de placer au dessus des sociétés locales, un organe central qui, par son importance, peut discuter avec les autorités gouvernementales. Son objet consiste à favoriser le développement de la plaisance « ainsi patronné le sport nautique français n’aura plus à rougir de son infériorité vis-à-vis de l’étranger » peut-on lire.

 Le 15 juin 1867 est fondée la « Société d’Encouragement pour la Navigation de Plaisance ». L’assemblée générale qui se réunit le 11 novembre de la même année, vote la proposition d’ajouter au nom de la société le titre de « Yacht Club de France » qui devient son titre usuel. Cette modification est approuvée par le Préfet de police le 28 décembre 1867.

Il s’interdit de donner lui-même des régates mais crée des prix destinés à favoriser le développement de la marine de plaisance. Il choisit pour pavillon le pavillon français avec une étoile blanche au centre de la partie bleue, pavillon qui remplace sur ses yachts le pavillon national jusqu’en 1881. Dès la première année il compte 49 membres. Il obtient rapidement, appuyé par ses bonnes relations, un certain nombre de privilèges : outre ce pavillon spécial, semble-t-il accordé par erreur, la reconnaissance officielle de la navigation de plaisance qui jusqu’alors n’était que tolérée, le droit d’utiliser les bassins de radoub et les ateliers de arsenaux de l’Etat, le droit de trématage (c'est-à-dire une priorité de passage aux écluses), le droit de changer le nom du bateau après sa vente à un autre propriétaire.

Le YCF élabore en 1868 un règlement de course applicable à l’ensemble du littoral, accepté par toutes les sociétés… sauf la plus ancienne, celle du Havre qui craint de voir son autonomie entravée.

Deux assemblées générales début 1869 votent la création de deux comités de direction : le Conseil Maritime pour la Société d’Encouragement et le Comité d’Administration pour le Cercle et l’ensemble de la société. Un Cercle et une Société d’Encouragement, tous deux biens distincts, mais gérés par le Cercle.

Le YCF à cette date compte 119 sociétaires.

Arrivent alors quelques turbulences peu maritimes.

Avec l’objectif de se donner des moyens d’augmenter ses ressources et s’étendre, le YCF fusionne dès 1869 avec le Cercle de Jeux du Pavillon de Hanovre. Dans cette union contre nature les membres du Cercle du Pavillon de Hanovre, bien qu’étrangers aux choses de la mer, appuyés par un rapport numérique favorable, prennent la main sur les décisions importantes. La voix des membres navigants est sans écho. Le YCF est alors frappé d’une inertie qui ne peut que créer de lourdes tensions. Il réussira cependant à réunir toutes les sociétés de régates françaises à l’occasion de l’important congrès de 1886 qui permettra de s’entendre sur de nouvelles règles de course, mettant ainsi de l’ordre dans le domaine.

Ces tensions perdurent durant deux décennies, jusqu’à l’assemblée du 2 décembre 1890 au cours de laquelle les membres du club demandent à être admis aux assemblées générales électives du Cercle avec l’idée de pouvoir y jouer un rôle. Les anciens du Cercle du Pavillon de Hanovre, forts de leur hégémonie, opposent un refus catégorique à cette juste revendication.

Cette réponse conduit quelques semaines plus tard au départ de 172 membres du YCF, ceux qui naviguent. Ils fondent « l’Union des Yachts Français » le 23 juin 1891. Le discours de l’amiral Lagé, président de l’UYF, prononcé le 10 mai 1892 au cours du banquet qui suit résume l’ambiance et l’état d’esprit dans lequel cette société a été constituée :

«…vous avez commencé à sentir que le milieu dans lequel vous viviez ne se prêtait pas au développement que vous poursuiviez pour la marine de plaisance », « nous avons pris une nouvelle existence qui a été une sorte de résurrection, nous avons passé d’une vie à une autre, d’une vie de luttes et de difficultés à une vie où tout semble nous sourire et bientôt nous verrons le yachting français monter au premier rang ».

Le Ministère de la Marine approuve les statuts de cette nouvelle société d’encouragement et lui accorde le 22 juillet 1891 les mêmes avantages et privilèges que ceux que détient l’YCF. Fin 1891 après de nombreux ralliements l’UYF est fort de 420 membres. Une période difficile suit pour le Yacht Club de France (le club allégé des membres ayant rejoint l’UYF) et l’amène à se rapprocher de l’Union des Yachts Français.

Le 6 août 1898 les sociétés d’encouragement que sont le Conseil Maritime du YCF et l’UYF fusionnent. La nouvelle société prend le nom de « Union des Yachts Français, sociétés réunies du YCF et de l’UYF », société d’encouragement unique nantie des privilèges des deux sociétés et arborant le pavillon français avec étoile blanche dans la partie bleue et étoile bleue dans la partie blanche.

Et cette réconciliation des sociétés d’encouragement se fête comme il se doit…

En 1901 le Cercle du YCF (le club dont ne fait plus partie le Conseil Maritime) se fond dans l’Automobile Club de France et vote sa propre dissolution. Le nom de Yacht Club de France n’a, à partir de ce moment-là, plus de propriétaire et retourne dans le domaine public. L’Union des Yachts Français qui le convoitait depuis longtemps le reprend en 1902 et il devient Yacht Club de France.

Ces mouvements sont résumés dans le tableau suivant :

1867

création YCF

1869

le YCF crée 2 comités de direction

  • Conseil Maritime ( la société d’encouragement)
  • Comité d’Administration pour Cercle et ensemble de la société

1869

YCF fusionne avec le Cercle du Pavillon de Hanovre

1891

172 membres du Conseil Maritime quittent YCF

les dissidents fondent UYF

1898

le Conseil Maritime du YCF fusionne avec UYF

Création Sociétés Réunies de YCF et UYF

1901

Le Cercle du YCF se fond dans l’ACF et vote sa dissolution

1902

Les Sociétés Réunies de YCF et UYF reprennent le nom de YCF

Le nombre important de documents que rassemble le YCF l’engage à publier tous les deux mois un bulletin officiel qui vient remplacer à partir de 1903 les annonces qu’il insérait dans le journal Le Yacht. Un bulletin conséquent et documenté qui, par exemple, pour l’année 1907, cumule 380 pages. Une riche bibliothèque se constitue au fil des années rassemblant de nombreux dossiers qui assurent la conservation d’une partie du patrimoine de la marine de plaisance.

EROS Arcachon 19 septembre 1880

IDUNA 29 août 1897

HIRONDELLE Le Legué 14 juin 1890

 

Depuis ces décennies mouvementées le YCF joue son rôle de société d’encouragement, dispense médailles et prix dont la Coupe de France. Il aligne dans la liste de ses membres célébrités et navigateurs renommés. Il accueille un certain nombre de clubs classés «alliés » aux membres desquels il accorde le privilège d’avoir accès aux salons, au restaurant, au bar et à la bibliothèque de son siège parisien. . Le Yacht Club de La Baule est au nombre de ces clubs. Le YCF reste le défenseur des traditions de la marine à voile et de l’étiquette navale, définit et fait observer un strict dress-code modulé en fonction des lieux et des saisons.

 

Il édite en 1928 un livret code des bonnes manières dans lequel on peut lire : « Aucun pavillon ne doit être hissé sous un autre, c’est une insulte pour le pavillon se trouvant en dessous » « lorsqu’on est obligé de traverser un yacht on doit toujours passer sur l’avant du bateau, devant les mâts s’il en existe » Voilà deux dispositions souvent négligées de nos jours et c’est regrettable. Elles sont à rapprocher d’un rappel énoncé dans un des tutos de Quai des Voiles qui présente la seule façon respectueuse de s’amarrer sur le taquet d’un ponton lorsque celui-ci est déjà utilisé. Ce n’est pas plus compliqué mais tellement plus courtois.

220px logo ycf

Le Comité des Yachts Français

Retournons à la période des dissensions internes du YCF.

Le 11 novembre 1890 se réunissent des présidents de clubs et des yachtsmen dont nombre de membres du YCF qui ne se satisfont pas de la situation du yachting en France « nous n’avons ni yacht ni équipage à opposer aux yachts et aux équipages américains et anglais. Il n’y a pas de honte à reconnaitre cette infériorité ; il ne serait pas digne du yachting français de déclarer par avance et une fois pour toutes qu’elle doit être éternelle ». (Le Yacht 15 novembre 1890). Ces propos on ne peut plus clairs reflètent l’exaspération des navigateurs face à l’inertie d’un YCF dont la gestion sclérosée est très éloignée de l’esprit de sa création (à cette date la scission du YCF n’a pas encore éclaté). Ils instaurent le 11 novembre un comité ayant pour mission de favoriser la construction des yachts sur des chantiers français et développer l’instruction des équipages, le Comité des Yachts Français. Celui-ci met rapidement en place un nouveau challenge, la Coupe de France, ouvert aux yachts de plus de 5 tonneaux, de toutes nationalités. La première régate est disputée à Brest le 6 septembre 1891. Un trophée de près de 6 kg, en argent, est confié pour un an au gagnant.

Le 25 janvier 1892 l’assemblée générale du Comité estime avoir rempli sa mission. Après avoir constaté que l’UYF constituée en juin s’est fixé des objectifs communs, ceux qui avaient prévalu à la création initiale du YCF, vote la fusion du Comité avec la toute nouvelle Union des Yachts Français. Elle lui apporte la Coupe de France.

Le Comité des Yachts Français n’a eu qu’une courte existence que l’on pourrait qualifier de période d’intérim. Il en a profité pour établir le règlement et le financement d’un trophée, la Coupe de France, toujours disputée actuellement et gérée par le YCF.

Guidons clubs« Le guidon d’un club nautique s’envoie en tête de mât c’est le seul pavillon qu’il est permis de laisser battre sans qu’il y ait personne à bord » (Jean Merrien).

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Patrick Vuillefroy, novembre 2024

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